Lundi 9 mars 1942, 12h


Ma chère maman,

Ma petite maman chérie voilà qu’il te faut avoir le plus de courage possible ! Je serai mort coura-geusement quand tu recevras cette lettre. Oh maman comme j’ai de la peine à comprendre la souffrance que tu vas ressentir ! Comme j’ai peur pour ta santé, si nécessaire à mon petit Pierre. Maman, il faut que tu trouves dans mon souvenir la force de faire un homme de ce petit être, un second Christian, car il me ressemble. J’ai d’ailleurs demandé à mon frère André de devenir aussi un homme qui te fera honneur plus tard. Je lui ai demandé qu’il te montre plus de tendresse car je ne veux pas que ce que j’aurais fini par te donner plus tard, te manque désormais. Sache bien, en effet, maman, que j’aurais compris de toutes fa-çons ce que tu étais - la brave et bonne femme que tu étais. Mais j’ai confiance en mes frères (qu’André répète tout ceci à Pierre plus tard). Ils t’aiment dorénavant de tout leur coeur et surtout ils te le montreront par leur travail et leur affection. Sache aussi, maman, que la prison ne m’a pas changé. J’ai simplement réfléchi. La tendresse que j’éprouve pour toi maintenant, elle existait - mais elle dormait au fond de mon coeur. Elle s’est réveillée un peu trop tard seulement, mais celle de mes frères et soeur va se montrer, ne t’en fais pas. C’est d’ailleurs, chère petite maman, la seule chose qu’il te faut pour vivre, la tendresse ! Tu vois que je te connaissais bien malgré mon indifférence apparente.
Allons maman, courage, confiance en l’avenir ; j’ai tout ça, tu l’auras aussi.
Je n’oublie pas ma petite soeur Hélène. Embrasse-la pour moi. Elle sera gentille pour toi, n’est-ce pas Hélène ?
J’embrasse mon tout petit frère - c’est drôle, j’ai le pressentiment qu’il me remplacera, qu’il me ressemblera en tout.
Ma petite maman, adieu. Si un jour le découragement te prenait, sache que ce ne serait pas di-gne de moi, car je te jure que je le suis.

CHRISTIAN

 

La Santé, 12h
Lundi, le 9 mars 1942

Mes chers frères et soeur,

C’est à toi surtout mon frère André que cette lettre s’adresse. Je vais mourir : tu sais pourquoi. Tu deviens le chef de famille maintenant. Je te confie maman. Depuis trois mois je sais ce qui m’attend et j’ai tout le courage nécessaire ; mais la seule chose qui m’a fait pleurer et avoir vraiment du regret, c’est notre mère. Elle a été une mère admirable de tendresse et de dévouement. Toute sa vie a été consacrée à nous. Crois-tu que nous l’ayons bien payée en retour de cette tendresse ? Pour ma part, je sais bien que non. J’aurais pu la rendre fière de moi dans l’avenir, mais vois-tu cet avenir doit s’interrompre brusquement. Je ne puis plus rien pour elle que d’une seule façon : par vous deux surtout mes frères. Je vous en supplie : qu’elle soit désormais quelque chose de plus pour vous - réfléchis bien, mon André, sur ce qu’est une mère, une mère comme la nôtre. Cette femme admirable a trouvé, par amour, par une affection sans borne pour son fils aîné, le courage de lui sourire une dernière fois - alors qu’elle savait ne devoir plus le revoir. Et pourtant, elle subissait la torture la plus affreuse qu’on puisse imposer à une mère : on lui arrachait son fils. Eh bien, pour ce fils, elle a montré le plus grand courage qu’ elle pût montrer.
J’ai appris avec plaisir que tu commençais à étudier et que tu t’apprêtais à devenir un homme ; que Pierrot en faisait autant - merci André et Pierre ! Peut-être ainsi arriverez-vous à donner un peu de joie, un peu de soleil dans la vie de ma malheureuse mère. De plus, montrez-lui bien votre affection, bien plus que vous ne le faisiez - et ceci pour remplacer ce qui ne pourra plus lui venir de moi, et pour qu’elle puisse me retrouver un peu dans vos baisers. A l’avenir je compte beaucoup sur cette promesse que vous m’auriez faite si je vous l’avais demandée. Soyez toujours courageux. On arrive à tout avec le courage - même à mourir à dix-neuf ans le sourire aux lèvres. J’embrasse Hélène, mon cher petit Pierrot, mon oncle, ma grand-mère.
Plus tard répète tout ce que je te dis à propos de maman à Pierre.
A ma mère chérie, ma dernière pensée, mes derniers baisers, les meilleurs.

CHRISTIAN