Ma chère petite soeur,
Tu sais sans doute que jai été condamné à mort vendredi et lon vient de mannoncer que je vais être exécuté cet après-midi à quatre heures... Il vaut mieux que nous ne nous soyons pas vus, cela aurait été trop dur pour nous deux. Je pense beaucoup à vous et je voudrais vous dire combien je vous ai aimés, mais je ne sais pas comment mexprimer. Jai peur pour papa et maman. Je sais que toi, tu seras forte et que tu tiendras. Je ne sais pas où est Juliette ; cette courte lettre est pour elle comme pour vous. Cest à vous que je voudrais confier ces dernières pensées. Pendant ces quatre mois que jai passés en prison, jai eu bien souvent peur de trembler au dernier moment, mais je crois maintenant que ça ira et que je saurai mourir en homme... Oh, certes ! la vie me semble bien belle en ce moment et jaurais bien voulu moi aussi en avoir ma part. Cest que, vois-tu, je nai pas encore vécu, moi, mais tout de même suffisamment pour me ren-dre compte de ce que peut être la vie (...) ; il me semble que tout a été riant dans mon enfance et auprès de vous. Cela aurait été bon de vivre, daimer. Il me semble que je nai jamais été aussi jeune que je le suis en ce moment. Il y a du soleil aujourdhui et je suis bien content (...). Je viens de recevoir la visite de laumônier et il a paru tout étonné lorsque je lui ai dit que je navais pas besoin quil me remonte. Que jétais assez fort pour mourir dignement. Je néprouve pas le besoin dune religion quelconque (...). Il me semble que ces derniers jours ont été un rêve. Les dorures dans la salle du tribunal comme les barreaux de la fenêtre de la cellule, les mots que jentendais, il me semble que cétait des mots connus davance et sans valeur réelle, des mots simplement. Je nai ressenti aucune émotion : cela ressemblait un peu à un examen ou à une distribution des prix, mais jaurais été plus troublé. Ce rêve va bientôt finir, dans moins de trois heures trois quarts (...). Les copains et moi navons pas été des lâches. Seulement cest bien difficile, ceux qui ne sont pas passés par là ne peuvent pas savoir. Certes, nous sommes des enfants les uns et les autres, nous navons jamais prétendu être des héros, il ne faut pas trop nous en demander. Nous avons demandé, comme dernière grâce, de mourir ensemble. Si on nous laccorde, alors ce sera beaucoup plus facile, nous sommes capables de mourir en souriant. Je ne ressens de haine contre qui que ce soit. Je voudrais aimer toute la terre. Je suis si jeune quil y a beaucoup damour et de chaleur qui nont jamais été dépensés et jen ai pour si peu de temps maintenant. Jai écrit hier à papa et à maman et je veux leur écrire maintenant. (...) Quand tu verras les copains, tu leur diras que je suis mort avec courage et quils peuvent être fiers de moi. Si tu vois ma petite camarade Odile, dis-lui que jai beaucoup pensé à elle et que je leur ai envoyé mon dernier salut. Je regrette profondément la vie, mais puisquil faut mourir eh bien, cest la mort que jaurai choi-sie. Javais toujours rêvé, vois-tu, de mourir debout un jour où le soleil brillerait. Les hommes meurent, mais la vie, elle demeure toujours triomphante, elle se moque bien de notre petite vie à nous. Je songe à tous mes héros, à Saint-Just, et à Ulenspiegel, à Jacques Vingtras et à Jean-Christophe. Je songe à mes chers bouquins, à toutes mes joies, et surtout à vous tous, à André, à Raymond, à Juliette, à tous qui êtes aussi un peu mes héros ! (...) Adieu ma petite Rachel, je tembrasse de tout mon coeur, de toute mon âme. Je voudrais mettre en ce dernier baiser toute ma vie qui me quitte. Je me serre contre toi une dernière fois, afin dêtre plus fort et de sourire quand la mort viendra pour me prendre. Ton petit frère qui taime |
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