HISTORIQUE
Après la défaite : premières actions
de résistance

    “Levez-vous !
    Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil ;
    Le despotisme attaque la liberté.”

    Victor Hugo


CONTINUER LE COMBAT

A la faveur de la défaite militaire plus ou moins souhaitée par certains clans de politiciens aigris, désireux surtout d’abattre la république et d’établir un régime fort à l’image de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste et de l’Espagne franquiste, Pétain, auréolé d’un passé militaire exagérément glorifié, s’empare du pouvoir et se fait légitimer par une assemblée aux abois, réunie en pleine débâcle. Il crée l’Etat «français», abolit toutes les institutions républicaines, met en place une législation répressive, raciste et antisémite.

Dans sa préface au livre d'Eric Alary (Un procès sous l'Occupation au Palais-Bourbon), Jean-Pierre Azéma résume : “Le 14 juin, les avant-gardes de la Wehrmacht pénétraient dans Paris déclaré ville ouverte, vidé des trois quarts de ses habitants, de la majeure partie de la classe politique et des personnels administratifs. Le surlendemain, le vainqueur faisait parader ses troupes sur les Champs-Elysées. Le 28 juin, au petit matin, Hitler faisait, à sa manière, une sorte de tour du propriétaire : il se rendait d'abord à l'Opéra, remontait les Champs-Elysées, s'arrêtait au Trocadéro, filait vers les Invalides. " Il ajoute : “Le 19 juillet, dans l'Hémicycle (de l'Assemblée nationale), des responsables militaires et civils du Paris occupé écoutaient dans un silence respectueux suivi d'un bruyant salut hitlérien, un discours dans lequel Hitler exaltait le triomphe des armées du Reich, tout en injuriant Churchill, "cet incendiaire international" pour l'occasion, on avait posé un buste du Führer sur le "perchoir ". " Le temps des assassins commençait.

Mais tout le monde ne se résigne pas. Dès les premiers jours de l'Occupation, une résistance individuelle et spontanée a surgi des profondeurs de la nation : sabotages divers (coupure des lignes téléphoniques reliant entre elles les diverses autorités allemandes...), hostilité ou mépris affiché pour l’occupant (chanter La Marseillaise ou lever le poing au passage des troupes allemandes, bousculer un Allemand au lieu de descendre du trottoir...), etc. Pour ces différents faits des centaines de Français furent fusillés.

 

Dès juin et juillet 1940 des appels à la lutte sont lancés : d'Angleterre par la voix du général de Gaulle et, en France occupée, à l'initiative du PCF - ce sera "l'appel du 10 juillet 1940" de Maurice Thorez et de Jacques Duclos, qui encourage à créer un “front de la liberté, de l'indépendance et de la renaissance de la France ", et proclame "qu' il n'y a de paix véritable que dans l'indépendance des peuples".

Dans le XIe arrondissement, riche de toute une tradition de lutte, les premières mesures adoptées par les autorités vichystes sont mal accueillies, en particulier parmi les jeunes. Ceux-ci n’entendent pas subir ce régime au service de l’occupant ; dans les classes supérieures des lycées, dans les facultés, dans les Auberges de Jeunesse, aux Jeunesses communistes ils se mobilisent et organisent une résistance au pouvoir autoritaire, antirépublicain et de collaboration avec l’ennemi.

Ouvriers, employés, petits artisans, étudiants n’attendront pas juin 1941 et l'entrée en guerre de l'Union soviétique pour engager la lutte sous des formes variées :

• propagande anti-vichyste et anti-allemande par tracts, affiches, prises de parole sur les marchés, dans les files d'attente, publications clandestines…
• attaque des permanences des associations et partis collaborateurs (RNP de Déat, PPF de Doriot),

• sabotage des réunions organisées par les maréchalistes (Georges Claude à la Sorbonne, etc.),

• manifestations publiques contre l’arrestation de Paul Langevin et contre la révocation du recteur Gustave Roussy,

• participation aux manifestations étudiantes des 8 et 11 novembre 1940,

• grèves dans les Centres de Jeunesse,
• actes de sabotage et récupération d'armes.



"LES ENFANTS DE FRANCE" : A L'AVANT-GARDE

Début juillet, la Sorbonne rouvre ses portes. Son grand amphithéâtre doit accueillir un cycle de conférences animé par Abel Bonnard et Georges Claude et dont l'inauguration est prévue pour le 26 juillet. Dans un témoignage recueilli par Claude Souef , François Lescure déclarait : “Nous savions qu'il devait y avoir des projections illustrant la conférence, et nous avons décidé de faire un lancer de tracts dès que la salle serait obscure. " Les tracts en question étaient l'"appel du 10 juillet " de Thorez et de Duclos. Le jour venu, deux étudiants de la faculté des sciences, Christian Rizo et Félix Kauer, passent à l'action depuis le balcon de l'amphi. François Lescure : “Il y a eu une espèce de ahahah !, de cri général ; les tracts voletaient dans le faisceau lumineux du projecteur ; la lumière a été vite rallumée. " Les deux trouble-fête seront arrêtés, emprisonnés à la Santé puis relâchés sans jugement le 10 octobre. Leur action spectaculaire constitue, souligne Claude Souef, " la première manifestation organisée, chez les étudiants, d'opposition à l'occupation, à la collaboration ". Il signale que, par la suite, “des accrochages se produiront entre étudiants et soldats allemands, notamment au café d'Harcourt, à l'angle de la place de la Sorbonne et du boulevard Saint-Michel ".




"Libérez Langevin !"

C'est dans ce climat que survient l'annonce de l'arrestation, le 30 octobre, du professeur Paul Langevin, éminent physicien et antifasciste. La nouvelle soulève l'indignation de nombreux étudiants et enseignants. Une manifestation a lieu le 8 novembre au Quartier latin. Les étudiants se rassemblent aux cris de "Libérez Langevin", avant d'entonner La Marseilllaise puis de se disperser. Parmi eux, Pierre Daix et Bernard Kirschen. Et aussi Sam Radzinsky, ancien lycéen devenu postier pour des raisons économiques. Il raconte : “On a commencé à manifester à l'intérieur de la Sorbonne, on a balancé des tracts, puis on est sortis sur la place... On a encore crié ' Libérez Langevin ! ' et lancé des tracts... A la fin, on s'est retrouvés au comptoir du Dupont-Latin, Tony Bloncourt, Christian Rizo, Rosine Pitkowitz et moi, pour prendre un café. "


La grande manifestation du 11 novembre 1940 aux Champs-Elysées

C'est la première grande démonstration de résistance à l'occupation et à la collaboration..Il y a là des lycéens, des étudiants, des professeurs. Le récit varie selon les témoins.

Claude Souef : “Des lycéens venant à pied, en cortège, déposent des gerbes sur la tombe du Soldat inconnu. La foule est dense. Finalement, la police interdit l'accès au terre-plein. Sur les Champs-Elysées, des incidents se produisent avec des groupes de jeunes fascistes de Jeune Front et de Garde-Française, qui ont leur permanence sur l'avenue. "

Sam Radzinsky, venu avec son copain Jean Verger, dit Nicolas (il sera fusillé deux ans plus tard), restera bloqué à l'endroit où se situait le Lido à cette époque, puis devra regagner son lieu de travail. C'est ensuite l'intervention allemande.

Claude Souef de nouveau : “Des voitures et des motos zigzaguent sur les trottoirs, pourchassant les manifestants qui se replient dans les rues voisines. [...] . Il y a des tirs de mitrailleuses, des blessés, des arrestations nombreuses " (témoignage cité dans L'Humanité du 11 novembre 2001).

François Lescure, responsable UNEF :
“A dix-sept heures exactement, un cri énorme : '"vive la France", éclate à hauteur du cinéma George-V, sur le trottoir de droite que remontent de nombreux groupes de jeunes. On chante La Marseillaise. Il y a, dans la foule, des anciens combattants. La Marseillaise éclate à nouveau, suivie du Chant du départ, puis de "Vive la France", "A bas Pétain", "A bas Hitler" (…)

"Les Allemands matraquent et chassent les manifestants à coups de crosse de fusil. La Marseillaise continue, tous les étudiants se battent.

“Par grappes, les étudiants sont embarqués dans des camions bâchés. Ceux qui échappent à l'arrestation se regroupent encore. Exaspérés, les nazis tirent. Ils assassinent une dizaine de jeunes - on en ignore encore le nombre exact - et en blessent davantage encore. Il y a une centaine d'arrestations. La chasse à l'homme continuera tard dans la nuit" (cité par H. Noguères).

La presse vichyste ne souffla mot de l'événement. Le 15, elle annonça la révocation du recteur Gustave Roussy et du secrétaire général d'académie Maurice Guyot. Le lendemain, un communiqué officiel indique que les autorités allemandes ont “ordonné la fermeture de toutes les institutions universitaires à Paris ". L'Université ne sera rouverte que le 20 décembre. Un mois plus tôt, vingt et un étudiants communistes avaient été arrêtés. Ils seront jugés le 1er mars 1941 et condamnés à différentes peines de prison.

Aragon célébrera cette manifestation dans "Les enfants de France" ( in Le crime contre l'esprit) :"Dans Paris bâillonné, le 11 novembre 1940, moins de cinq mois après qu'un maréchal de France eut proclamé que la Patrie avait touché la terre des épaules, les étudiants descendirent dans la rue, et leur jeune voix retentit si haut que la France tout entière l'entendit et cessa de croire à la défaite. (…) L'ennemi ne s'y trompa pas. On était au lendemain de Montoire, et cette manifestation des étudiants de Paris, il y vit bien le désaveu national de la politique de soumission instaurée (…) par les capitulards."


Autres témoignages
sur les manifestations étudiantes
dans Le Patriote résistant.