GUERILLA EN REGION PARISIENNE

DU SABOTAGE À LA LUTTE ARMEE :
« ETRE L’ENCLUME OU LE MARTEAU »

En 1941, explique Albert Ouzoulias, alias colonel André, dans Les Bataillons de la Jeunesse, « l’heure est venue d’un développement sur une plus large échelle de cette forme avancée de la lutte. (…) La lutte armée, les actions des francs-tireurs sont un des moyens les plus efficaces pour freiner et même faire reculer le terrorisme de l’ennemi. (…) Si, à ce moment, le Parti communiste et sa direction avaient reculé, comme le lui conseillaient certains attentistes, c’était la capitulation et le déshonneur. Notre pays n’aurait joué aucun rôle dans la grande bataille qui se livrait dans l’Europe entière et n’aurait pas ensuite été capable de participer comme il le fit aux ultimes combats libérateurs de 1944. La répression aurait été encore plus terrible pour des dizaines de milliers d’hommes et de femmes emprisonnés ou jetés dans les camps de concentration en France et pour la population française en général. » Et à ceux qui inversent les rôles pour justifier leur refus du combat armé pendant l’Occupation, il pose cette question : « Qu’avaient-ils fait, les 90 000 israélites de France qui sont allés mourir dans les fours crématoires d’Auschwitz avec les 6 millions de juifs de toute l’Europe ? Qu’avaient-ils fait, les dizaines de milliers d’ouvriers français déportés du travail envoyés dans des camps et qui sont allés mourir sous les bombardements dans la Ruhr ? Fallait-il attendre d’être tous déportés en Allemagne pour commencer la résistance ? »



LES FRANCS-TIREURS S'ORGANISENT

Côté communiste, on comptait au lendemain de l'armistice trois organisations à l'échelon national qui menaient des actions de lutte armée, chacune ayant sa direction propre :

• l'OS (Organisation Spéciale), organisation de protection des militants du Parti communiste lors des manifestations, distributions de tracts, prises de parole et autres actions de propagande;
• les Bataillons de la Jeunesse, composés de militants issus des Jeunesses communistes;
• les groupes spéciaux de la MOI (Main-d'Oeuvre Immigrée), qui regroupaient les antifascistes immigrés.

La coordination est assurée par Eugène Henaff. En avril 1942, la direction du Parti communiste, dans un souci d'efficacité, charge Charles Tillon d'unifier l'ensemble de l' organisation. Ce seront les FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français), ouverts à tous les patriotes.

Un comité militaire est constitué, il comprend entre autres Albert Ouzoulias (colonel André), ancien responsable des Bataillons de la Jeunesse, qui en assurera la direction militaire. Il a comme adjoint Pierre Georges (futur colonel Fabien). Ce celui-ci sera le premier, à la station de métro Barbès, le 21 août 1941, à ouvrir le feu sur un officier allemand.

Roger Hanlet, Acher Semahya, Robert Peltier, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan et Fernand Zalkinov seront parmi les premiers à participer dès juillet 1940 à ces actions de résistance qui se multiplient sur le territoire. Ils ont alors conscience de reprendre la tradition des patriotes de 1814 et des francs-tireurs de 1870 qu’arma Gambetta, ces combattants de la République animés par l’esprit de 92 et dont Victor Hugo exaltait ainsi le combat :

    “Vous n’êtes pas armés, qu’importe,
    Prends ta fourche, prends ton marteau,
    Arrache le gond de la porte,
    Délivrez, frémissant de rage,
    Votre pays de l’esclavage
    Et votre mémoire du mépris.”

OPERATIONS DU GROUPE

11/8/41 A Orry-la-Ville (Oise), détérioration de la voie ferrée par explosion (Bloncourt, Rizo).

12/8/41 A Orry-la-Ville (Oise), vol d’outils destinés à perpétrer différents sabotages dans une baraque de l’entreprise DEHE (Bloncourt, Hanlet, Peltier, Rizo).

14/8/41 A Vitry-sur-Seine (Seine), attaque à la bouteille incendiaire de l’usine des «Isolants de Vitry» (163, boulevard Lamouroux, actuel bd de Stalingrad), qui produit du matériel destiné aux Allemands (Bourdarias, D’Andurain, Hanlet, Le Berre, Milan).

14/8/41-15/8/41 A Choisy-le-Roi (Seine), incendie d’un dépôt d’essence (Bourdarias, D’Andurain, Hanlet, Le Berre, Milan).

15/8/41 A Argenteuil (Seine-et-Oise), des éclisses sont dévissées, des tire-fond de traverses sur la voie ferrée sont enlevés (Brustlein, Peltier).

16/8/41-17/8/41 A Ivry-sur-Seine (Seine), incendie de l’usine de lampes (D’Andurain).

20/8/41 Entre les gares de La Chapelle-en-Serval et Orry-la-Ville (Oise) les éclisses sont déboulonnées et des rails disjoints (un train de troupes allemandes déraille) (Bloncourt, Rizo).

20-21/8/41 Près de Nogent-sur-Marne et du Perreux, tentative de déboulonnage de rails (Brustlein, Bloncourt, Zalkinov, Semahya, Milan, Rizo, Gueusquin).

21/8/41 A la station de métro Barbès-Rochechouart, des coups de feu sont tirés par Pierre Georges (colonel Fabien) sur un officier de la marine allemande (Alfons Moser) qui décède. Brustlein assure la protection, Gueusquin et Zalkinov participent à l'opération.

21/8/41 A Paris, station Bastille, des coups de feu sont tirés sur des soldats allemands, lesquels ne sont pas atteints (Hanlet, Semahya, Zalkinov, Bloncourt).

23/8/41
A Goussainville, tentative d’assaut contre un poste radiogoniométrique de la Luftwaffe (Brustlein, Hanlet, D’Andurain, Zalkinov, Milan, Rizo, Bloncourt, Semahya, Peltier).

3/9/41 A Paris, à proximité de la gare de l’Est, 5 boulevard de Strasbourg, un sous-officier allemand est gravement blessé par balle dans le hall de l’hôtel Terminus (Semahya, Brustlein, Zalkinov, Bloncourt, Milan, Hanlet, Rizo).

19/9/41 A Paris, près de la porte Maillot (21, boulevard Pershing), deux groupes participent à l’opération, l’un dirigé par Le Berre, l’autre par Miret-Must ; ils font sortir les ouvriers français qui travaillent dans un grand garage allemand où sont rassemblés les véhicules de l’état-major nazi et, après avoir coupé les fils téléphoniques et neutralisé le gardien, ils lancent leurs bouteilles incendiaires (Le Berre, Miret-Must, Brustlein, Zalkinov, Gueusquin, Semahya, Feferman, Bourdarias, Milan, Hanlet, Dumont).

Septembre 1941 A Choisy-le-Roi, tentative de déraillement sur la voie ferrée (le groupe).

Septembre 1941
A Rosny-sous-Bois, tentative de déraillement (le groupe).

25/9/41 A Dampmart, près de Lagny (Seine-et-Marne), tentative de dynamitage de la voie ferrée Strasbourg-Paris (Brustlein, Hanlet, Zalkinov, Milan).

30/9/41 A Paris, une bouteille incendiaire est découverte sous le capot d’une voiture allemande (Brustlein, Zalkinov, Hanlet, Milan).

1/10/41 A Dampmart, près de Lagny (Seine-et-Marne), découverte d’un paquet d’ explosifs entre les rails de la voie ferrée (Milan, Hanlet, Zalkinov, Peltier, Semahya, Rizo, Bloncourt, Brustlein).

6/10/41 A Jouy-le-Châtel (Seine-et-Marne), un incendie détruit 750 tonnes de fourrage réquisitionnées par l’ armée allemande (Zalkinov).

13/10/41 A Saint-Maximin (près de Creil-Montataire, dans l’Oise), vol d’explosifs à l’entreprise Vandewalle : 25 kilos de tolite et 25 kilos de gomme A (Zalkinov).

15-16/10/41 A Montreuil (Seine), des soldats allemands sont attaqués dans un garage situé 78, rue de Lagny (Hanlet, Zalkinov).

Octobre 1941 A Paris, au métro Cambronne, vol d’outils (Brustlein, Zalkinov).

Octobre 1941 A Paris, villa Désiré (XXe arrondissement), explosion d’un camion allemand (le groupe).

20/10/41 A Nantes, à 7h45, Brustlein et Guisco ouvrent le feu sur le commandant de la place, le lieutenant-colonel Hotz, qui décède aussitôt ; Bourdarias participe à l'opération.



L’acte d’accusation ne retint pas contre les sept combattants qui comparurent devant la cour martiale les opérations du 21 août (Barbès) et du 20 octobre 1941 (Nantes), car la police n’en connaissait pas avec certitude les auteurs, bien que dans le second cas elle soupçonnât Brustlein, lequel entre-temps avait réussi à s’enfuir.

Lors du
procès, dix-sept opérations de guerre leur furent imputées, mais en reprenant l’ensemble des actions dont avons connaissance et qui seront confirmées par le commissaire aux opérations des Bataillons de la Jeunesse, Albert Ouzoulias, nous en trouvons davantage ; sans doute la police était-elle sur d’autres pistes…

Plusieurs combattants ayant participé aux opérations du groupe échapperont à l’arrestation. La plupart appartenaient à d’autres détachements des Bataillons de la Jeunesse ou de l’Organisation Spéciale.