PROCES DE LA MAISON DE LA CHIMIE
7-14 avril 1942

Du 7 au 14 avril 1942, vingt-sept combattants appartenant aux Bataillons de la Jeunesse et à l’Organisation Spéciale (OS) comparaissent devant une cour martiale réunie à la Maison de la Chimie, après avoir été, comme les sept jeunes combattants du XIe arrondissement, arrêtés et livrés par la police vichyste à ses homologues allemands.

Arrêté en même temps que ses camarades, Conrado Miret-Must, républicain espagnol et fondateur de la MOI, ne comparaîtra jamais devant le tribunal : il fut massacré avant même l’ouverture du procès, dans les locaux de la sinistre Brigade spéciale n° 2 créée par Pétain.

Vingt-cinq de ces combattants seront exécutés, parmi lesquels vingt-trois fusillés au Mont-Valérien immédiatement après le procès. Les Allemands, voulant faire assaut de mansuétude, commuèrent la condamnation à mort en déportation pour quatre d’entre eux : ce sera le cas de Paul et Marie-Thérèse Lefebvre, ainsi que d’André Kirschen, âgé de 15 ans, et de Simone Schloss, laquelle sera cependant décapitée par les nazis à Cologne le 2 juillet 1942.

D’autres procès suivront, le plus souvent à huis clos. Près de 9000 combattants seront exécutés par les nazis dans la région parisienne, 21000 en province. Sans oublier les dizaines de milliers de déportés-résistants qui ne revinrent pas et les milliers d’otages exécutés. [1]

Bataillons de la Jeunesse
     
Andre-Aubouet
Andre
Aubouet

Marcel-Bertone
Marcel
Bertone

Marcel-Bourdarias
Marcel
Bourdarias

 Louis-Coquillet
Louis
Coquillet

Camille-Drouvot
Camille
Drouvot

Jean-Garreau
Jean
Garreau

Bernard-Laurent
Bernard
Laurent


Jean
Quarré

Raymond-Tardif
Raymond
Tardif

Pierre-Tirot
Pierre
Tirot

Maurice-Touati
Maurice
Touati

Pierre-Tourette
Pierre
Tourette

Rene-Toyer
René
Toyer

Georges-Tondelier
Georges
Tondelier

Karl-Schoenhaar
Karl
Schoenhaar

   
Organisation Spéciale
     
Mario-Buzzi
Mario
Buzzi

Alfred-Cougnon
Alfred
Cougnon

Guisco-Spartaco
Spartaco
Guisco

Yves-Kermen
Yves
Kermen

Leon-Landsoght
Léon
Landsoght

Pierre-Leblois
Pierre
Leblois

Louis-Marchandise
Louis
Marchandise

Conrado-Miret-Must
Conrado
Miret-Must

Ricardo-Rohregger
Ricardo
Rohregger

Simone-Schloss
Simone
Schloss

OPÉRATIONS DU GROUPE

14/08/41 Attentat, avec le groupe du XIe arrondissement, contre l’usine des Isolants de Vitry (163 boulevard Amouroux à Vitry-sur-Seine), qui fabrique du matériel destiné aux sous-marins et aux avions allemands.

28/08/41 Attaque de camions allemands au moyen de cocktails Molotov, rue de la Plaine (XXe).

6/09/41 Attentat contre un militaire allemand rue La Fontaine (XVIe).

10/09/41 Attentat, à la station de métro Porte Dauphine, contre l’officier de marine Denecke, lequel est grièvement blessé.

19/09/41 Opération organisée par Conrado Miret-Must (alias “ Lucien ”) contre le garage SOGA (HPK503), 21 boulevard Pershing (XVIIe), où sont réparés les voitures de l’état-major allemand et de nombreux véhicules de la Wehrmacht. Tous les groupes armés de Paris, répartis en quatre ou cinq groupes. Les dégâts sont très importants, même s’ils ne réussiront pas à incendier l’atelier de menuiserie.

10/10/41 Destruction de câbles du poste de la Wehrmacht n° 906-A, rue de Varize (XVIe).

13/10/41, vers 21h30 Incendie du garage Normandie rue de Rémusat (XVIe).

20/10/41 Déraillement du train Paris-Nantes. Le même jour, Spartaco Guisco et Gilbert Brustlein abattent le Feldkommandant Hotz.

21/11/41 Attentat contre la librairie allemande Rive Gauche du boulevard Saint-Michel (à l’angle de la place de la Sorbonne). La librairie sera dévastée : vitres brisées, matériel et stocks de livres de propagande détruits.

22/11/41 Attentat contre un hôtel de la Wehrmacht (Hôtel Océan) situé 100 avenue du Maine (XIVe) avec des grenades récupérées dans les stocks de l’armée.

26/11/41 Attentat à la bombe contre la librairie militaire allemande située à l’angle de la rue de Rivoli et de la rue Cambon (Ier).

2/12/41 Attentat à la bombe contre le local du RNP (Rassemblement national populaire) boulevard Blanqui (XIIIe). Cinq cartouches de dynamite font littéralement sauter ce repaire de la collaboration.

3 ou 5/12/41 Attentat rue de Seine (VIe) contre le major Friese, de la Luftwaffe.

6/1241 Attentat boulevard Pereire (XVIIe) contre le lieutenant Rahl, lequel est grièvement blessé.

14/12/41 Opération contre l’Hôtel Impérator, 71 rue Beaubourg, qui servait de cantine à l’unité L 37294.

15/12/41, 7h 30 du matin Attentat à la bombe contre un poste de la Feldgendarmerie situé à l’Hôtel Universel, rue de la Victoire (IXe).

17/12/41 Incendie d’un camion de la Wehrmacht rue Mayran (IXe).

18/12/41, 21 h 30 Même opération rue Lamartine, à l’angle de la rue Buffault (IXe). Plusieurs camions sont détruits. Des soldats allemands tirent. Coquillet et Touati parviennent à s’échapper, mais Bertone se fait arrêter.

23/12/41 Sectionnenement des câbles de la Wehrmacht près de Grigny.

Fin décembre 1941 Sectionnement d’un câble de transmission de l’armée allemande dans le bois de Meudon.

3/01/42 Attaque au pistolet et à la grenade contre une permanence du RNP de Marcel Déat située 11 bis rue de la Procession (XVe). Bilan : les locaux sont détruits et un membre du RNP est blessé.

10/01/42 Attentat contre les locaux du Rassemblement national populaire (RNP) de la rue du Faubourg-Saint-Martin (Xe).

12/01/42 Sectionnement, près d’Aulnay-sous-Bois, du câble de l’aéroport du Bourget.

20/01/42 15 boulevard de Vaugirard (métro Bienvenüe), attentat contre un soldat allemand de la poste militaire nommé Pepling, lequel est sérieusement blessé.

28/01/42 Attaque contre la cantine de la Wehrmacht à l’angle de la rue du Châteaudun et de la rue Montmartre (Xe). Dans ce restaurant réquisitionné par les troupes de campagne des unités n° 913-921-930-933 se trouvaient alors dix soldats nazis : plusieurs sont tués, d’autres blessés.

1/02/42 Attaque contre des véhicules de l’armée allemande, place de la Concorde. Des explosifs sont placés sous les camions qui seront pulvérisés.

5/02/42 Attentat contre une “ maison close ” de l’armée allemande, 106 avenue de Suffren (XVe), sous la direction de Pierre Georges (futur colonel Fabien). Les dégâts sont considérables.

11 et 12/02/42 Attentat à l’explosif gare de l’Est, contre des trains de permissionnaires en partance pour l’Allemagne : nombreux tués et blessés et panique parmi les nazis.

21/02/42 Tentative d’attentat manqué contre le Lido, avenue des Champs-Elysées.

22/02/42, 14 h 30 Destruction à la dynamite de plusieurs camions de la Wehrmacht avenue Rachel (XVIIIe), près du cinéma Gaumont.

1/03/42 Attentat contre le poste de garde n° 328 d’un bataillon de la Wehrmacht situé au 41 rue de Tanger (XIXe).


"LEUR GLOIRE, C'EST NOTRE LIBERTE"

“Un mois avant ce procès, du 4 au 6 mars 1942, sept jeunes résistants communistes - ils étaient âgés de dix-huit à vingt-sept ans - avaient été pareillement "jugés" dans la galerie des Fêtes du Palais Bourbon, pavoisée aux couleurs hitlériennes, et passés par les armes au Mont-Valérien, le 9 mars 1942. C'était l'époque où, comme le proclamait une immense banderole déployée sur le fronton de la Chambre des députés - le textile français ne coûtait pas cher à l'occupant - l'Allemagne gagnait "sur tous les fronts " (Deutschland siegt an allen Fronten). Les fusilleurs ne répugnaient pas à signer leurs crimes, par affichage. Mais, dans le cas de la Maison de la Chimie, comme auparavant dans celui du Palais-Bourbon, puis, plus tard, dans celui du procès des résistants de l'"Affiche rouge ", ils firent plus. S'agissant de l'établissement de la rue Saint-Dominique, ils filmèrent des instants du "procès". Ce sont ces films, retrouvés en 1984, après le décès d'un cinéaste allemand, qui permirent à Antenne 2 de mener une enquête, de rétablir les faits et de produire un reportage sur "Les fusillés du 17 avril 1942" (titre d'un article paru à l'époque dans Paris-Match sous la signature de Jean-Louis Saporito).

Que dire de ce procès ? Comme le soulignèrent nos confrères, il s'ouvrit sur un "Heil, Hitler !" éructé par les juges, les assesseurs, et le public exclusivement allemand, et s'acheva sur un "Vive la France !", lancé par les condamnés. Contre vingt-six accusés sur vingt-sept, la peine de mort fut requise. Deux femmes, Simone Schloss et Marie-Thérèse Lefebvre, virent leur peine commuée. Mais l'on a vu le sort finalement réservé à la première. Le mari de la seconde (déportée classée "Nuit et Brouillard"), Paul Lefebvre, commerçant prospère, fut, lui aussi, déporté. Tous deux survécurent miraculeusement. Le dernier survivant, avait nom André Kirschen. Originaire de Roumanie, membre de l'Union des étudiants communistes, il s'était engagé, avec son frère Bernard, en août 1940, dans l'Organisation spéciale du PCF (l'OS, d'où devaient bientôt naître les Francs-Tireurs Partisans français). Au moment du procès, André était âgé de quinze ans et demi : "J'avais un peu menti en me donnant seize ans, mais j'avais le sentiment qu'une immense bataille venait d'éclater, que la France devait y participer, et qu'entre les distributions de tracts et l'action armée, les risques étaient les mêmes ; sentiment que l'expérience devait, hélas, confirmer." Son âge le sauva : on ne condamnait à mort "que" passé seize ans.

Que dire de l'acte d'accusation ? On reprochait aux accusés quelque 34 sabotages, attentats à l'explosif et tentatives d'assassinat.

Que dire des accusés condamnés ? Qu'ils étaient jeunes. Etudiants, ouvriers, employés, commerçants. Et, pour beaucoup, comme le souligna, samedi, André Tollet, président du Comité parisien de libération, militants de la CGT. Qu'ils reconnaissaient les faits. Selon Antenne 2, "avec fierté". Que trois d'entre eux - Marcel Bourdarias, Alfred Cougnon et Léon Landsoght - étaient Audoniens (originaires de Saint-Ouen). Que cinq avaient fait leurs premières armes contre le fascisme et le nazisme en Espagne : Marcel Bertone, engagé à l'âge de seize ans et demi dans les Brigades internationales ; Léon Landsoght ; Spartaco Guisco et Pierre Tirot, marié " tra los montes " à une Espagnole ayant vécu en France et dont le père avait fini sa vie à l'un de ces poteaux dressés par Franco. Que Pierre Tourette, dit "Pétrus", dont le frère était déjà emprisonné, se voyait reprocher sa participation à une dizaine d'actions. Qu'Yves Kermen, monté de Bretagne, ancien responsable syndical à Boulogne-Billancourt, lança à ses " juges " : " Vous pouvez nous tuer ; d'autres se lèveront, et nous gagnerons la guerre ! " Que Maurice Touati comparut, les jambes plâtrées, par suite d'une tentative manquée d'évasion, et que le président du tribunal se réjouit de ce que les soins qui lui étaient prodigués allaient permettre qu'il soit fusillé en bonne santé. Qu'il manquait, au banc des accusés, Conrado Miret-Must, responsable de l'OS-Main-d'Œuvre Immigrée, ayant notamment participé, le 5 septembre 1941, à l'incendie d'un garage, arrêté au début de l'année 1942, et disparu, vraisemblablement mort sous la torture. Que l'un des accusés, enfin, le plus jeune, répondit en allemand au tribunal : Karl Schoenhaar, affectueusement surnommé "Carlo", était né d'une mère française, mais son père, Eugen, était allemand, responsable du Secours rouge et député communiste. Expédié en camp de concentration en 1933, il y avait péri l'année suivante, à l'âge de trente-cinq ans, entre les mains des SA... Carlo dont la copine, Tatiana, était russe, et qui avait, entre autres actions, tiré, rue de Tanger, sur une sentinelle allemande, déclara simplement : "J'ai vengé mon père." Sa mère fut déportée.

Il faudrait dire que tous, avant de monter vers la clairière du Mont-Valérien, écrivirent des lettres incroyablement courageuses et porteuses d'espoir. En des temps où ni le courage ni l'espoir n'étaient évidents.

Que dire des assassins ? Qu'ils furent activement secondés par toutes les polices de Vichy, du simple flic aux spécialistes de la BS-1 et de la BS-2. Qu'ils prétendirent ne pas juger des Français, mais des communistes. Qu'un réduit, derrière le tribunal à croix gammée, permettait aux juges de faire travailler au corps les prévenus dont les réponses indisposaient.

Peut-être faut-il surtout ajouter que cette histoire ne s'arrêta pas le 17 avril 1942. Le 11 août de la même année, cent personnes furent fusillées au même endroit, dont plusieurs, à titre d'otages, apparentés à des "terroristes". Parmi elles : Naoum Zalkinow, père de Fernand Zalkinow, exécuté le 9 mars 1942 ; Louis Thorez, frère de Maurice Thorez ; Guillaume Scordia, beau-frère du colonel Fabien. Et aussi : Joseph et Bernard Kirschen, respectivement père et frère d'André Kirschen, rescapé de l'assassine mascarade d'avril... " Leur gloire, c'est notre liberté ", devait conclure, samedi, le représentant à la cérémonie de Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux Anciens combattants.”

Jean Morawski (L'Humanité, 8 mai 2001).


SOUVENONS-NOUS !

Une cérémonie officielle, au cours de laquelle fut dévoilée une plaque commémorative en l’honneur de ces combattants des premiers groupes de résistance armée, a eu lieu samedi 5 mai 2001 à 11h30 à la Maison de la Chimie, dans la salle où s’était tenu le procès, en présence de nombreuses personnalités, ainsi que d’André Tollet
[2], président du Comité du Souvenir et ancien président du Comité Parisien de Libération, et de Charles Fournier-Bocquet, secrétaire général de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance.

[1] Sur le Procès de la Maison de la Chimie, nous recommandons la lecture de l’ouvrage d’André Kirschen, unique survivant du groupe : Le Procès de la Maison de la Chimie, L’Harmattan, 2002. [revenir à l'article]

[2] Notre ami André Tollet nous a quittés le 25 décembre 2001