ARRESTATIONS ET PROCES
DU PALAIS-BOURBON

ARRESTATION DU GROUPE

Suite à l’entrée des Allemands, ordre avait été donné de remettre aux autorités toutes les armes éventuellement détenues. Beaucoup se retrouvèrent ainsi dans les égouts, voire dans les poubelles... Un copain d’Hanlet n’appartenant pas à la Résistance a l’imprudence de montrer à sa fiancée les revolvers récupérés qu’il va lui fournir.

Celle-ci le rapporte à son père qui le répète à un autre... de bavardage en bavardage, on débouche sur une dénonciation à la police. La "Brigade spéciale criminelle” dirigée par le commissaire Georges Veber arrête Roger Hanlet, Pierre Milan et Acher Semahya le 30 octobre 1941. Le lendemain 31 octobre, c’est le tour de Fernand Zalkinov et le 1er novembre Robert Peltier est arrêté sur son lieu de travail. Christian Rizo se fait prendre le 25 novembre dans un cinéma. Tony Bloncourt, qui a pu échapper à l’arrestation, est hébergé par des copains étudiants dont Pierre Daix. Il sera arrêté le 6 janvier lors d’un contrôle de police.

Le groupe est emprisonné à la prison de la Santé et mis au secret, avant d’être livré aux autorités allemandes. Le 6 mars 1942, jour du verdict, le président de la cour martiale allemande se félicitera d’ailleurs de l’excellente coopération des polices "française” et allemande, et c’est Veber en personne qui viendra recevoir les félicitations.


UN PROCES EXPEDITIF

Il semble que fin février 1942, le nouveau gouverneur militaire en France, Karl Heinrich von Stülpnagel, sur l’avis de ses services juridiques, ait décidé de monter une série de procès à grand spectacle pour frapper l’opinion française et tenter de mettre un terme aux attentats.

Le commandement militaire allemand organise donc un procès à la Chambre des Députés, alors siège de différents services du Kommandant von Gross-Paris, procès auquel puvent assister les journalistes de la zone occupée, de même que ceux de la zone non occupée. La Propagandastaffel est également présente. Il apparaît même, d’après la presse de l’époque, que le procès fut filmé, mais la bobine n’a pas été retrouvée, comme elle l’a été pour le second procès à grand spectacle qui, celui-là, eut lieu à la
Maison de la Chimie en avril 1942.

Mercredi 4 mars. L’accusation.
Jeudi 5 mars. Les débats.
Vendredi 6 mars. La défense et le verdict.

Les sept jeunes sont défendus par des avocats alsaciens commis d’office. L’acte d’accusation, que les avocats reçoivent le 2 mars, leur apprend que leurs clients sont jugés pour « Freischärlerei », c’est-à-dire « activité de francs-tireurs ». On retient contre eux 17 actions de sabotages, incendies et attentats.

Nous ne dirons rien des « débats », ne pouvant reprendre à notre compte la relation qui en fut donnée par les journaux de l’époque, lesquels s’évertuèrent à comparer les sept jeunes résistants à de vulgaires bandits à la solde de la "ploutocratie anglo-judéo-bolchevique”. Ils rapportèrent les faits en les déformant, en y ajoutant des qualificatifs infamants et mensongers, voire racistes à l’égard de certains.

La lecture de cette presse laisse cependant transparaître une attitude digne et courageuse. Ce qui fut confirmé par ceux qui assistèrent au procès, notamment par Yolande Bloncourt, la tante de Tony. Ils se transformèrent tous en accusateurs, s’attachant à replacer les faits dans le contexte réel de l’occupation de leur pays. Ils ne contestèrent nullement leurs actes, mais au contraire les revendiquèrent pleinement. “J’ai agi en patriote et par conviction communiste”, dira Robert Peltier. “La perspective d’être fusillé ne le retint pas une seconde”, ajoutera l’officier nazi présidant la cour martiale. Cette attitude combative fera dire au Pariser-Zeitung qu’ils répondirent avec une "effrayante insolence” aux accusations. Le journal de Doriot, Le Cri du peuple, écrivit que "pendant la suspension d’audience qui précéda le verdict, les terroristes firent preuve d’un cynisme déconcertant, en riant et plaisantant, alors qu’un peu avant, ils avouaient une fois de plus les attentats...”.

• Samedi 7 mars Deux jours avant l’exécution de la sentence, la maman de Christian Rizo fut autorisée à aller voir son fils à la Santé pour les derniers adieux ; elle ne put le voir qu’à travers un grillage. Sur son insistance, Christian finit par lui avouer, entre autres confidences, que lui et ses camarades avaient été "odieusement maltraités” par les policiers de la "Brigade spéciale criminelle“ et qu’il en était écoeuré. Trop courageux et trop fier pour se plaindre, l’euphémisme qu’il utilisa en disait long sur la gravité des sévices endurés.

Lundi 9 mars Etudiants et professeurs font circuler en Sorbonne une pétition demandant le recours en grâce. Elle se couvre rapidement de signatures, certains professeurs y ajoutent des éloges et des annotations.
Yolande Bloncourt, arrivée au fort du Mont-Valérien, ne sera pas autorisée à voir Tony et ses camarades avant leur exécution ; elle sera refoulée mais entendra un puissant cri : “Vive la France!”, suivi d’une salve nourrie...
Maître Wilhelm, l’avocat alsacien du Barreau de Paris désigné d’office pour assurer la défense de Christian Rizo et Tony Bloncourt, assistera à la mort des sept jeunes résistants ; dans une lettre adressée le jour même à Mme Rizo, il témoignera “qu’ils ont pris congé dans la dignité, le courage et la foi de leur conviction”. Il ajoutera : “Vous ne devez penser qu’avec honneur à votre fils et accepter le malheur qui vous frappe si durement comme si Christian avait été tué en soldat à la guerre”...
Il n’y a que cinq poteaux... Roger Hanlet et Robert Peltier seront fusillés immédiatement après leurs camarades, avec trois autres patriotes.

Dès que la nouvelle sera connue, le XIe arrondissement se couvrira de papillons, de tracts, d’affichettes réalisées à la main ou à la machine, afin d’honorer la mémoire des sept martyrs et d’appeler au renforcement de la lutte contre l’occupant.

L’arrestation et l’exécution des sept membres des Bataillons de la Jeunesse n’ont pas pour autant stoppé le combat contre l’occupant. Albert Ouzoulias (colonel André) assure la direction des opérations, assisté de Pierre Georges (colonel Fabien), avec comme agents de liaison leurs courageuses épouses respectives, Cécile Ouzoulias et Andrée Georges. Ils dirigeront, impulseront les initiatives et participeront aux actions, y compris les plus dangereuses. Fabien et son épouse seront arrêtés plusieurs fois ; lui réussira, comme Ouzoulias, à s’enfuir. Andrée Georges sera déportée et, heureusement, nous reviendra des camps.

Les autres groupes parisiens des Bataillons de la Jeunesse réalisent plus de quarante opérations du 6 septembre 1941 au 29 mai 1942 ; ils sont dirigés par :
Marcel Bertone (21 ans), Pierre Tourette (23 ans), Paul Tourette, Louis Coquillet (21 ans), Marcel Bourdarias (18 ans), Maurice Touati (21 ans), René Toyer (20 ans), Pierre Tirot, Georges Tondelier (20 ans), Maurice Feferman (21 ans), Gérard Hilsum, Jean Quarré (22 ans), André Aubouet (18 ans), Raymond Tardif, Jean Garreau (29 ans), Bernard Laurent (20 ans), André Kirschen (15 ans et demi), Camille Drouvot, Roger Debrais, Maurice Feld (18 ans), Maurice Le Berre (19 ans), Karl Schoenhaar (17 ans et demi), Guy Gauthier, Lucien Legros, Pierre Benoît, Rousseau (Dupré), Baraqui, André Biver, Pierre Leblois, Jacques D’Andurain. A ces actions s’ajoutent celles, nombreuses, de l’Organisation Spéciale (OS), conduites par Yves Kermen, Louis Marchandise, Raymond Losserand, Gaston Carré, Roger Linet, Henri Tanguy (colonel Rol) et des groupes spéciaux de la MOI dirigés par Miret-Must.

Le journal collaborationniste de Déat, L’Œuvre du 3 mars 1942, dénombrera 230 attentats et sabotages du 1er juillet 1941 au 18 février 1942 dans la seule région parisienne, ce que confirmera le sinistre commissaire Veber qui, lors de son audition devant la cour de justice du CNR, déclarera que les attentats étaient devenus quotidiens.

 

1942 : “PROCES” A LA CHAMBRE DES DEPUTES

« Le 4 mars 1942 se déroula, dans la Chambre des députés, à l’endroit même où le nazi Rosenberg avait prononcé une apologie du national-socialisme, le procès de sept très jeunes résistants, procès qui devait, dans l’esprit de l’ennemi, être un élément d’intimidation de la Résistance en cours de développement. Le 4 mars, dans la salle de la Présidence, étaient introduits sept jeunes résistants enchaînés. Le tribunal était entièrement composé d’officiers nazis. Non seulement la presse et les actualités cinématographiques sont présentes, mais, à la tête de nombreux officiers hitlériens et d’une cour de collaborateurs, se trouve von Stülpnagel en personne.

Le journal allemand publié chez nous, le Pariser-Zeitung, exposa le 5 mars que les sept jeunes se voyaient accuser de dix-sept opérations de guerre. Il écrivait : Les deux intellectuels de la bande que l’on juge, les étudiants Christian Rizo et Tony Bloncourt, ont commencé à militer au sein d’un Front dit National... Ils passèrent à l’action, croyant peut-être au début servir sous le drapeau combien périmé de Déroulède” (sic). Et suit cette phrase invraisemblable: “L’un d’eux alla jusqu’à parler des "armées étrangères” qui occupaient la France.” Est-ce à dire que les armées allemandes n’étaient pas étrangères ? La France était donc l’Allemagne !

Quant au journal de Doriot, ce même 5 mars il écrivait : “Tous les accusés ont dit comment ils comprenaient le fameux “Front National”, organisation bolchevique camouflée allant des gaullistes aux comunistes.” Le journal allemand précité de préciser, avec un grand frisson d’horreur : “Un des accusés, par exemple, avait fait partie des Jeunesses (communistes) avant la guerre.”

La parodie de procès dura trois jours. Le jugement - si l’on peut employer ce mot - se félicite “de l’excellente collaboration fournie par la police française...”. Il condamne à mort Roger Hanlet, Acher Semhaya, Robert Peltier, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan et Fernand Zalkinov. Le 9 mars, les sept héros sont fusillés au Mont-Valérien. L’un d’eux, Fernand Zalkinov, dédia sa dernière lettre à sa soeur, la chargeant d’être son interprète auprès de ses parents : il ne savait pas que son père et sa mère étaient déjà déportés et mourraient à Auschwitz. »

Extrait d’un article paru en mars-avril 1999
dans Le Journal de la Résistance/ France d’abord (journal de l’ANACR).


SOUVENONS-NOUS !

Peu après la libération de Paris les honneurs militaires leur ont été rendus en présence de représentants du Conseil National de la Résistance (CNR), du Comité Parisien de Libération (CPL), des Comités Locaux de Libération (CLL) de Paris XIe et de Goussainville.

Quelque temps après, ils furent décorés chacun à titre posthume de :
• la Médaille Militaire,
• la Croix de Guerre avec palme,
• la Médaille de la Résistance.


Le jeudi 9 mars 2000,
M. Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée, M. Jean-Pierre Masseret, Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, et M. Robert Chambeiron, Président de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance, ont rendu un vibrant hommage aux sept jeunes premiers combattants de l’intérieur arrêtés par la police vichyste et fusillés au Mont-Valérien le 9 mars 1942 après dix-sept opérations de guerre menées contre l’armée allemande.

La cérémonie a eu lieu là où s’était tenu le procès, c’est-à-dire dans la Salle d’Honneur de la Présidence (Galerie des Fêtes), à l’Hôtel de Lassay. M. Fabius a déclaré notamment : “ Ces sept partisans avaient participé à la première campagne d’attentats contre des officiers allemands engagés à partir de l’automne 1941 en zone occupée : à Nantes, à Bordeaux, à la station de métro Barbès. Dans des conditions extrêmement difficiles, ils furent parmi ceux, assez peu nombreux à cette date, qui eurent le courage de remettre en question l’impunité et l’arrogance des forces d’occupation. La Résistance leur doit beaucoup, et notre liberté aussi. Les nazis le savaient et c’est la raison pour laquelle ils se montrèrent sans pitié. ”

M. Jean-Pierre Masseret précisera : “ (...) il n’était pas facile, pour des jeunes vivant sous l’Occupation, d’entrer dans la Résistance active. Il y fallait une dose exceptionnelle de courage physique. Faire le bon choix moral, ne pas se laisser obnubiler par l’issue d’une bataille, ne pas transiger en pensée sur l’honneur, l’intérêt supérieur de la patrie et les valeurs de la République, c’est une chose, mais convertir ce choix en actes, accepter le risque d’être capturé, torturé, déporté, assassiné, c’en est une autre. Comme toutes les périodes les plus tragiques, les années 1940-1944 virent l’éclosion de héros, auxquels nous sommes toujours redevables ”.

M. Robert Chambeiron, ancien secrétaire général adjoint du Conseil National de la Résistance, ajoutera : "Ils étaient antifascistes et républicains. Donc, en tout état de cause, voués à la haine meurtrière des nazis. Ce n’est pas par hasard, d’ailleurs, si les nazis avaient choisi pour faire leur procès le lieu qui symbolisait, en France, la démocratie et la représentation populaire. Ni par hasard qu’en ce même lieu, en 1940, le propagandiste de l’idéologie nazie Julius Rosenberg avait dénoncé les grands idéaux de la Révolution française (...). ”

La plaque commémorative a été apposée sur la façade nord de l’Hôtel de Lassay.




QUE SONT DEVENUS LES AUTRES ?

Que sont devenus les autres combattants ayant participé à ces opérations mais qui ne comparurent pas en cour martiale les 5, 6 et 7 mars 1942 ? Sept combattants appartenaient à d’autres groupes des Bataillons de la Jeunesse dont l’un avait combattu en Espagne. Trois venaient des Brigades internationales.

Pierre GEORGES (le futur colonel Fabien) (22 ans). Ancien combattant à dix-sept ans des Brigades internationales, il commandera après la libération de Paris le «Groupe Tactique Lorraine» composé de volontaires parisiens des FTP. Cette unité sera intégrée dans la Ire armée par le général de Lattre de Tassigny. Ce sera le 151e régiment d’infanterie, unité qui sera l’une des premières à franchir le Rhin. Fabien sera tué le 27 décembre 1944 à Habsheim dans le Haut-Rhin.

Gilbert BRUSTLEIN (22 ANS), qui commande le groupe, a participé à de nombreuses opérations. Il échappe de peu à l’arrestation, passe en zone sud puis en Espagne, avant de gagner l’Algérie.

Marcel BOURDARIAS (17 ANS 1/2). Après de nombreuses actions, il sera arrêté et fusillé le 17 avril 1942 (procès de la Maison de la Chimie).

Jacques D’ANDURAIN (23 ANS). Après de nombreuses actions en zone nord, il passera en zone sud et continuera la lutte jusqu’en 1944.

Jules DUMONT (colonel) (53 ans). Grièvement blessé en 14-18, il reçoit la Légion d’honneur. Volontaire en Espagne, commandant de la célèbre 14e Brigade internationale (composée de Français, elle prit le nom de «Brigade la Marseillaise»), il participe à de très nombreuses opérations sous l’Occupation ; arrêté, il sera fusillé le 15 juin 1943.

Maurice FEFERMAN (19 ANS).
Après de très nombreuses actions, il préférera se tuer avec sa dernière balle, le 10 mai 1942, plutôt que de tomber aux mains des Allemands.

Albert GUEUSQUIN (19 ANS). Après de très nombreuses actions, il sera arrêté et fusillé le 9 juillet 1943.

Maurice LE BERRE (19 ANS). Après de très nombreuses actions, il sera arrêté le 28 août 1942, s’évadera le 1er janvier 1943, sera de nouveau arrêté quinze jours plus tard, puis déporté. Il reviendra des camps de la mort en 1945. Il est aujourd’hui décédé.

Conrado MIRET-MUST. Républicain espagnol, il est le premier dirigeant fondateur des Francs-Tireurs de la MOI. Il sera arrêté après de très nombreuses actions. Il mourra sous la torture avant l’ouverture du procès de la Maison de la Chimie lors duquel il devait comparaître le 15 avril 1942.

Spartaco GUISCO (28 ans). Antifasciste italien, ancien des Brigades internationales. Il participe à de très nombreuses actions. Il est arrêté et fusillé le 17 avril 1942 (procès de la Maison de la Chimie).